Traque, course-poursuite et rock'n roll [Sarah]

"Controlling everything in sight, feeling weak I don't feel right... ♫ "

L’inspecteur se balançait d’avant en arrière dans sa chaise de bureau, un casque enfoncé sur les oreilles. Il était de très bonne humeur depuis sa victoire au God Hand et, surtout, depuis qu’il avait reçu la prime généreuse qui lui avait été accordée en raison de cette réussite complète. Haruka avait elle aussi reçu un bonus, ainsi que l’assurance d’une lettre de recommandation si d’aventure elle demandait une promotion. Noah n’avait pas reçu une telle promesse, mais n’en avait cure.

"You're telling me I have to change. ♪ Telling me to act my age... ♪♪"

Bien sûr, cette réussite avait été tenue confidentielle. Seuls les officiers étaient au courant de l’opération Hidden Hand ainsi que de l’identité du mystérieux Arnold Mac Gyver. Pour la plupart des collègues de l’inspecteur Kyanseru, ce dernier agissait juste un peu plus comme un imbécile heureux que d’habitude.

"But if all that I can do is just sit and watch time go, then I'll have to say good-bye... ♫"

Il rédigeait tranquillement le rapport de sa dernière affaire. Il n’en avait à l’heure actuelle aucune sur les bras. Bien qu’en temps normal il aurait préféré mettre de côté la paperasse et aller aider ses confrères sur leurs propres affaires, il avait décidé de profiter de son "immunité" nouvellement acquise grâce à son coup de maître et aller à un rythme un peu moins effréné que d’habitude.

Le destin n’en avait pas décidé ainsi. Le capitaine Kurowa sortit en trombe de son bureau. Noah, remarquant tout de suite son air contrit et le fait qu’il se dirigeait vers lui, retira son casque et prit un air sérieux.

"Kyanseru !"

"Capt’ain !"

"Un fourgon transportant quatre criminels en transfert vers une prison Kyotoïte a eu un accident dans un coin reculé du centre-ville."

Noah se redressa dans sa chaise, bondissant presque. Voilà qui promettait.

"Les individus en question sont en liberté dans la ville. Leur appréhension doit être menée rapidement mais sans précipitation ni déploiement excessif. Nous ne voulons pas que, pris par une peur trop grande, ils en viennent à des extrémités et décident d’impliquer des civils."

Noah jubilait. Des criminels en cavale ! Les affaires urgentes de ce genre lui étaient rarement assignées. Et il avait été dépêché seul ! On s’attendait donc à ce qu’il travaille sans partenaire pour cette fois et…

"Vous travaillerez en binôme avec un héros. L’affaire a été envoyée sur le Hero Network à l'instant, le renfort ne tardera pas à se montrer. Nous avons bien sûr précisé nos attentes en terme d’Alter, de sorte à ce que vous puissiez être soutenu efficacement sur le terrain."

Noah grogna. Les Alters de recherche avaient le don de gâcher son plaisir. Ce n’était pas de l’investigation, mais juste un jeu de piste avec ce genre d’horreurs. Mais ce qui devait être fait…

15 minutes plus tard, Noah se tenait debout dans la salle de briefing. Au tableau blanc étaient scotchés les photos signalétiques des quatre évadés. Sur quatre, il connaissait très bien le profil de trois et avait personnellement arrêté un d’entre eux. Une carte des alentours du lieu de l’accident, imprimée depuis Google Maps et dont les lieux de cache les plus pertinents avaient été marqués au feutre, était également accrochée. Enfin, les Alters et le palmarès des 4 individus avaient été marqués à côté des portraits correspondants. Reiyou Kamoshi, Ken Suishin, Keika Handoru, Kaaso Usoh. Antilope, mains détachables à propulsion, création de portes, sans-Alter. Triple tentative de meurtre, trafic de stupéfiants et recel, cambriolages en série, double homicide. Un charmant défilé. C’était alors que Noah observait, satisfait, le résultat de son travail de préparation, que la porte s’ouvrit et que son partenaire du jour entra.

"Vous me faites mal."

"Ferme ta gueule. Avance plus vite."

"Ou sinon quoi ?"

"Sinon je te défonce."

"Euh... madame ?"

Sarah lâcha les mains de son prisonnier pour se concentrer sur le nouveau venu. Le réceptionniste du commissariat la regardait comme si elle venait d'égorger une grand mère dans les toilettes. Il faut dire qu'elle n'était pas très reluisante en ce moment : ses gants et ses armes étaient couverts de sang séché et sa tenue puait la boue, la sueur et la clope. Elle avait eu des difficultés pour capturer cet homme, il faut dire que le criminel menotté devant elle était loin d'être un débutant, et elle n'avait pas pu résister à l'envie de le brutaliser un peu sur le chemin du retour. La conséquence était direct : sa prise du jour avait une gueule de martyr, on était très loin de la bonne tenue Japonaise. Divers substances odorantes se répandaient autour de sa barbe, et des bouts de ce qui avait été un masque stylisé ornaient ses cheveux bruns. Une balle de 9 millimètres avait eu raison de cette pièce d'équipement, ce qui l'avait égratigné au passage. En bref, Mindfeel et son prisonnier ressemblaient à deux clodos tout droit sortis du mont de piété.

"Mindfeel, héroïne, vous pouvez m'indiquer le bureau de l'inspecteur Kyanseru ? C'est plutôt urgent."

"Vous êtes son binôme ? Vous suivez ce chemin, vous passez cette porte, et vous vous arrêtez devant le type avec un fond d'écran dégueulasse. Si il n'est pas dans la salle z'avez qu'à demander aux gens ou est passé l'autre l'imbécile heureux, ils comprendront. Entre nous je crois qu'il est un peu autiste, donc allez y doucement."

"Un flic autiste, quelle surprAAAAAAAAAAAAIE ! MAIS PUTAIN ?"

Le quarantenaire ne s'attendait pas à prendre un coup de taser pour si peu.

"Je t'avais dis de fermer ta gueule, maintenant on avance. Bouge ton cul, allez, j'ai pas toute la journée."

Le prisonnier s'avança en grognant devant le réceptionniste, toujours aussi médusé par la scène. Le commissariat était en pleine période d'activité, il bourdonnait dans tous les sens et les gens courraient dans tout les sens. Des héros amenaient des suspects pour interrogatoires, des agents de polices parcouraient les couloirs piles de dossiers à la main, des inspecteurs hurlaient des ordres à des cols bleus au regard déconfit. Mindfeel avait du mal à se frayer un chemin mais la plupart des gens finissaient par s'écarter pour la laisser passer. Elle n'avait pas de temps à perdre, les taulards évadés n'étaient pas quelque chose que l'on pouvait laisser passer. Il fallait réagir vite avant que leur cavale ai le temps de vraiment se lancer. Plus les criminels avaient de temps pour se planquer, plus il serait difficile de les trouver. Elle avait de la chance d'avoir dégotté un spécimen utile pour l'enquête, elle espérait juste qu'elle ne serait pas gâché par un inspecteur un peu trop incompétent. Quand les gens disaient "il est un peu autiste", cela pouvait avoir plusieurs sens. L'individu pouvait être génial mais décalé, ou incompétent et décalé. Sarah espérait sincèrement que Kyanseru penchait du bon coté de la balance.

Le prisonnier et sa gardienne finirent par arriver devant la porte tant convoitée. C'était une superbe ouverture en bois qui permettait d'avoir un avant gout de la salle grâce à la vitre. La vision aurait pu être charmante si un horrible photomontage de vieilles stars américaines n'était pas scotché sur le fond d'écran du PC portable au fond. Le barbu se retourna vers l’héroïne avec un "est ce qu'on est vraiment obliger de rentrer dans cette merde ?" à la bouche, mais elle se contenta de l'écarter de la porte. Cette dernière grinça à l'ouverture, et les deux arrivants purent constater l'état du bureau. Un homme, la vingtaine, fixait un tableau blanc avec une rare intensité. Les évadés du matin étaient disposé dessus avec une minutie toute professionnelle. Il n'y avait que deux sièges dans la pièce, Mindfeel décida donc qu'elle resterait debout pour que son prisonnier pose son cul sur une chaise. Les menottes étaient déjà assez inconfortable comme ça.

"Tu te poses ici et tu la ferme, sauf si on te parle."

"J'ai l'habitude des gardes à vues, et sans vouloir vous vexer c'est pas la procédure."

"J'ai une gueule à suivre la procédure ?"

"Non ma grande, tu as plus une gueule à... Okay c'est bon pas la peine de recommencer je la ferme."

Sarah rangea son taser avec un petit sourire en coin et se tourna vers ce qui semblait être son binôme. L'homme avait beau visage mais il s'habillait terriblement mal pour quelqu'un de son âge. Personne ne serait capable de deviner qu'il était flic du premier coup, ce qui devait être excellent pour sa carrière. Son apparence était faites pour désamorcer toute suspicion : la marque d'un grand professionnel ou la folie d'un tocard ? Ça restait à voir. Son esprit, quand à lui, était... particulier. Elle avait l'impression de faire face à un petit enfant. Plus elle le regardait, plus elle comprenait ce que l'accueil avait tenté de lui dire. Le terme "imbécile heureux" résonna dans la tête de Mindfeel, qui tendit sa main à son nouveau partenaire avec un sourire sarcastique en coin. Il y avait définitivement de quoi s'amuser dans la psyché de ce type.

"Mindfeel, héroïne, si vous êtes bien Kyanseru alors je suis votre binôme. Remarquez, vu ce qui se dégage de votre cerveau vous êtes définitivement le type dont j'ai besoin. Je vous présente... attendez que je retrouve son pseudonyme à la con..."

"Aristide le magnifique."

"Voilà, merci. C'est lui qui à mis en place "l'accident" du transport de taulard, il a utilisé sa maitrise du caoutchouc pour faire imploser les pneus du véhicule. Je vous laisse imaginer la suite."

L’œuvre d'art sur le PC de Noah :

Une très jolie et très sale blonde à l’air farouche entra dans la salle de préparation. Elle tenait en laisse une sorte de clochard qui aurait décidé pour une raison mystérieuse de devenir vegan en dépit de sa situation précaire. Le duo échangea quelques grossièretés avant de se positionner dans la pièce. Durant leur petit numéro comique, Noah lança sa procédure habituelle.

La fille était de toute évidence une tireuse d’élite et une héroïne étrangère. En dépit de son japonais parfait, son équipement ô combien militarisé, son port d’armes et le fait qu’elle avait déjà fait usage de son taser sur le barbu trahissaient un temps de service plus long à l’étranger qu’au Japon. Pour la qualité de son tir, cela se voyait à ses phalanges. Ni trop usées et calleuses, ni vierges. Elle tirait donc souvent, mais avec une trigger discipline remarquable. Et au-delà de son hygiène de tir, elle était précise au vu de l’état du barbu, qui s’était fait tirer à la tête et n’avait reçu qu’une petite égratignure pour commémorer l’évènement.

Son Alter était plus complexe à deviner. Pas une mutation, ou alors une discrète, comme au niveau du cerveau ou de la vision. Probablement pas une activation à caractère purement offensif au vu de son armement. Mais l’état de son équipement ne laissait pas sous-entendre une capacité de déplacement non plus. Pour la transformation, elle aurait dû être partielle vu la multitudes de poches qui indiquait que l’habit de la femme n’était pas conçu à partir de sa fibre capillaire. L’absence de manches aurait pu laisser penser à une transformation basée sur ses bras, mais ça ne collait pas avec ses mitaines, très légèrement effilochées, donc ne s’adaptant pas à une transformation, donc usées naturellement. Activation ou mutation mentale. Pas un contrôle direct, sinon elle n’aurait pas eu à abîmer autant le clochard. Pas non plus un pouvoir de… Oh, elle s’approchait.

"Mindfeel, héroïne, si vous êtes bien Kyanseru alors je suis votre binôme. Remarquez, vu ce qui se dégage de votre cerveau vous êtes définitivement le type dont j'ai besoin. Je vous présente... attendez que je retrouve son pseudonyme à la con..."

"Aristide le magnifique."

"Voilà, merci. C'est lui qui à mis en place "l'accident" du transport de taulard, il a utilisé sa maitrise du caoutchouc pour faire imploser les pneus du véhicule. Je vous laisse imaginer la suite."

Noah était figé sur place. Complètement immobile, il en oubliait d’analyser Aristide.

"Ce qui se dégage… De mon cerveau..."

Il détestait ça. C’était la pire idée du monde. Il ne voulait pas. Il ne voulait pas travailler avec cette femme. De tous les Alters qui existaient en ce monde, plus que les polymorphes usurpateurs d’identité, plus que ceux altérant le comportement jusqu’à la folie, plus que ceux conférant à leur porteur un cerveau incroyable, Noah détestait les Alters de lecture mentale.

Pour une fois, cette haine dépassait le simple enfantillage comme c’était le cas de ses autres travers. Il ne s’agissait pas de ruiner son amusement ou de rendre trop simple les enquêtes.

Il était simplement terrorisé par ces Alters. L’idée que quelqu’un, n’importe qui, de l’être aimé à un passant dans la rue, puisse connaître une once de ses pensées, de ses émotions, l’effrayait au plus haut point. À cet instant, Noah était un enfant ayant peur du noir que l’on venait d’enfermer dans un placard.

Réprimant un haut-le-cœur, l’inspecteur se dirigea vers la sortie de la salle.

"Excusez-moi deux minutes."

---

Il revint cinq minutes plus tard, l’air déprimé. Il n’avait pas obtenu de changement de partenaire de la part de son supérieur. Il allait devoir faire face. Il se planta devant Mindfeel, les yeux rivés sur le sol.

"Noah Kyanseru. Inspecteur. Est-il nécessaire de procéder à l’interrogatoire du témoin ou êtes-vous capable de lire son cerveau pour voir où sont allés nos criminels juste après l’attentat ?"

Son choix de mots était celui d’un homme professionnel. Son attitude physique était celle d’un homme honteux et effrayé. Son ton était celui d’un homme en colère.

"C'est quoi son problème à lui encore, on schlingue trop c'est ça ?"

"Je penche plus pour le coté autiste."

Sarah avait l'habitude. Son Alter créait une peur panique chez certaines personnes depuis sa petite enfance. Un aide soignant de l'institut avait donné sa démission en apprenant la nature de son pouvoir, clamant que gérer des petits psycher était "hors de ses capacités". Elle le comprenait avec le recul. Elle se savait être un monstre social depuis très longtemps, et ses collègues les plus proches savaient qu'il fallait toujours garder un œil sur sa nature manipulatrice. Mais comment voulez vous faire autrement lorsque vous comprenez les émotions des gens ? Faire la sourde oreille n'était pas une solution, jouer avec leurs carences était inacceptable. Mieux valait utiliser qu'elle utilise son essence pour les mettre sur un chemin plus stable. Lynx n'avait jamais compris par quel processus sa sœur adoptive l'avait conditionné : conditionné à être un homme idéal, un héros idéal, un ami idéal, une personne sans insécurités. Il y a des moments ou Mindfeel se demandait si elle avait le droit de jouer à Dieu avec les gens. Ensuite, elle se demandait ce que deviendrait certaines personnes si elle stoppait totalement ses combines. La deuxième question la terrifiait tellement qu'elle finissait par choisir d'être un Dieu, ou un psychiatre. C'était une question de point de vue.

"T'es pas aidé beauté. De toute façon, tu trouveras pas beaucoup de vrais hommes dans la police si tu vois ce que je..."

"Qu'est ce qui se passe mon grand, tu vas lancer un concours de bite ? T'as quelque chose à compenser ?"

"Pourquoi tu viens pas vérifier ? Ce sera notre petit secret."

"Aristide le magnifique" était une petite nuisance. Il faisait son sale boulot pour la bouffe et le logement et il se tenait à l'écart des combines qu'il jugeait trop violentes ou trop extrêmes. Pas de prises d'otages, pas d'agressions sur civils, pas de meurtres. Il incarnait ce type de gens qui ne savait que magouiller pour survivre, et c'est bien pour ça que Mindfeel s'était contenté de lui mettre une rouste. Était il ré-insérable ? Certainement, mais rien de cela ne pouvait camoufler le fait qu'il était en chien. Sarah n'aimait pas que des minables la regarde comme un morceau de viande.

"Dans tes rêves. Tu t'es regardé dans un miroir récemm..."

La phrase de la jeune femme se perdit dans sa gorge. Son binôme venait de repasser dans le bureau, et il puait la déprime. Il avait certainement essayé de se dérober, mais ses supérieurs étaient sans doute d'un autre avis. Il ressemblait à un petit enfant à qui on venait d'annoncer que la maitresse avait le pouvoir de l'enfermer dans le placard. Son attitude était celle d'un adulte sérieux, mais ses micro-mouvements et son état émotionnel plus que... désastreux le trahissaient. Le rictus de Mindfeel s’agrandit et une pointe de sadisme passa dans ses yeux bleu. Elle allait se faire un plaisir de jouer avec ce petit flic.

"Noah Kyanseru. Inspecteur. Est-il nécessaire de procéder à l’interrogatoire du témoin ou êtes-vous capable de lire son cerveau pour voir où sont allés nos criminels juste après l’attentat ?"

Professionnel et droit au but. Un véritable androïde enquêteur, en apparence tout du moins. Cette manière qu'il avait de zieuter ses chaussures devenait de plus en plus craquante. Un malaise de haut niveau se répandait dans la salle alors que la jeune femme dévisageait son binôme, un sourire au lèvre. C'était vraiment un spécimen intéressant. L'homme avait vingt ans mais il en faisait trente. Le rasoir n'était pas un concept qui lui semblait familier, tout comme l'entretien d'une barbe correct. Quelques tâches de nourritures beaucoup trop calorique pour un homme de terrain parcouraient ses habits. Il avait un visage plutôt viril, ce qui contrastait terriblement avec son attitude. C'était un chiot de bonne race, mais le couple qui l'avait dressé avait visiblement loupé quelques cases.

"Je ne peux pas m’incruster dans la tête des gens aussi facilement. Ça vous dérange si je fume ? Non ? Très bien. Faites attention avec votre rythme cardiaque, vous êtes dans la force de l'âge mais il est un peu trop élevé pour le moment."

Mindfeel n'avait même pas regardé Noah, son approbation était accessoire. Elle avait besoin de cette clope, et il était bien trop intimidé pour lui dire quoi que ce soit. Elle ne risquait pas grand chose après tout, cela faisait longtemps que ses cigarettes contenaient un substitut au vrai tabac. Lorsqu'on avait un job comme le sien, développer une addiction quelconque n'était jamais une bonne idée. Mais trêve de plaisanteries, elle avait des détenues à attraper. Il valait mieux mettre Kyanseru au jus sur ce qu'elle pouvait faire avant de débarquer sur le terrain.

"J'intercepte les émotions des autres dans un rayon de 500m. Cette détection devient plus précise si je touche les gens directement, avec ma paume, mais il m'est très difficile de rentrer dans le crâne de quelqu'un sans son consentement. Ça impliquerait d'y passer du temps et de rajouter quelques coups de savates. En clair Kyenseru je ne peux pas rentrer dans les pensées de cet homme, et même si je le pouvais votre législation ne me l'autoriserait pas. Vous n'avez pas à me craindre à ce niveau."

Plus l’héroïne parlait, plus son binôme ressemblait à un poisson hors flotte. Charmant, mais un peu ennuyeux à la longue. Il fallait que cette larve policière se bouge le cul, ils allaient devoir bosser ensemble que diable ! Le commandement avait décidé de les maquer que ça leur plaise ou non, et elle n'avait pas l'intention de se battre avec les Japonais sur un sujet aussi ridicule que ce... mec. Elle leva un sourcil devant son manque de réaction et lui tendis une main sous minerve. L'autre hésita un moment avant de la serrer. Enfin, de la serrer... De lui faire une démonstration de demi-molle plutôt. Cet imbécile avait vraiment peur à ce point d'une américaine dans son genre ? Bah, ça allait lui passer. Ça leur passaient toujours.

"On ne s’entendra pas, mais on fera une bonne équipe. Quand à toi pauvre criminel de mes deux, si tu n'arrêtes pas de fantasmer sur mon boule je te massacre. Ils logent ou tes potes évadés ?"

Aristide ricana. L'occidentale était vraiment à part. Il s'était fait avoir par pas mal d’héroïne durant sa carrière, mais celle là valait vraiment le coup d’œil. Il allait lui donner ce qu'elle voulait, son contact lui avait dis que les flics ne seraient jamais un problème sur son territoire de toute façon, mais il ne pouvait pas résister à l'envie de lui faire un petit doigt d'honneur.

"Tu as le droit de rester silencieux et j'ai le droit de te mettre des coups de tasers. Le monde est bien fait quand même, non ?"

"C'est bon, ça va, j'ai pigé. Donne moi un bout de papier, je te marque le quartier. Mais tu les trouveras pas de toute façon, c'est pas des débutants."

Quelle horrible, horrible femme. Au-delà du fait qu’il n’était évidemment pas le moins du monde permis de fumer dans le commissariat, Noah abhorrait particulièrement la fumée, de manière personnelle. Il nota toutefois que l’odeur n’était pas celle de la nicotine pure. Cela ne rendait pas cet acte plus agréable ou autorisé, mais au moins il savait désormais qu’il n’allait pas faire équipe avec une héroïne aux poumons complètement noircis qui pouvait lui claquer entre les doigts d’un instant à l’autre.

Captation émotionnelle. Moins précis que la lecture mentale à proprement parler, mais tout aussi angoissante. Elle avait toutefois l’honnêteté de ne pas nier qu’elle était capable de lire directement dans les esprits. De toute façon, en l’état actuel des choses il aurait été incapable de voir à travers un quelconque bluff : il refusait toujours obstinément de regarder Mindfeel dans les yeux. Cela ne l’empêchait pas d’enregistrer méthodiquement les informations qu’elle lui fournissait. D’ailleurs sa capacité expliquait sa mitaine unique. C’était pour éviter de lire dans les pensées lorsqu’elle serrait la main, à l’américaine. D’ailleurs, elle la lui tendait, cette main gantée. L’inspecteur mit sa propre main dans celle de la blonde, sans trop de convictions.

C’est à ce moment que Mindfeel fit un commentaire sur les fantasmes variés d’Aristide. Noah manqua de tourner de l’œil. Elle pouvait donc bien lire dans les pensées au-delà des simples émotions. À moins que « Vouloir niquer » était une émotion ? Non, le commentaire était trop précis.  Prestement, Noah retira sa main.

"Tu as le droit de rester silencieux..."

En effet.

"Et j'ai le droit de te mettre des coups de tasers."

Noah n’eut pas le temps de dire "Quoi, non, pas du tout" que déjà Aristide capitulait. L’inspecteur n’aimait pas du tout ce genre de méthodes d’intimidations. Mais dans le cas présent, il aurait tout donné pour finir ça rapidement. Il indiqua à Aristide la carte qu’il avait lui-même dressé sur le tableau de la salle et tendit un feutre au criminel. Quelques secondes plus tard, 4 cercles noirs ornaient sa carte.

"Voilà. J’suis à peu près sûr qu’ils ont pas bougé bien loin des zones entourées si les poulets ont pas trop fait de boucan. Sauf Reiyou, c’est un nerveux."

"Le côté animal je suppose."

Voir la carte ainsi marquée avait permis à Noah de se concentrer à nouveau sur l’affaire. Il considérait les localisations et leur rapport avec les Alters de chacun des suspects. Sans détacher ses yeux du tableau, il s’adressa à Mindfeel.

"Les antilopes sont des monstres de vitesse et d’endurance et le bonhomme derrière est un sanguin qui est du genre à poignarder puis à fuir sans s’assurer de l’état de sa cible. On obtiendra rien si on part à sa poursuite maintenant, faut qu’il se calme. "

Il posa son index sur la photo de Keika Handoru.

"La plus dangereuse c’est elle. Création de portes donc créations d’issues, on ne peut pas réfléchir normalement avec elle. Et c’est une habituée de la cambriole, je m’attends à un certain degré d’agilité. Si on ne met pas rapidement le grappin dessus on la perdra à jamais."

Toujours sans accorder un regard à sa partenaire, il sortit son portable pour prendre une photo du tableau et se dirigea vers la sortie de la pièce.

"Je vais à l’armurerie, on se retrouve devant le commissariat."

Cela allait moins être une partie de plaisir que prévu.

"C'est un modèle personnalisé ou c'est de l'équipement en série ?"

Des héros étrangers, l'officier Kanake n'en croisait pas souvent ! Des étudiants gaijin qui se prenaient pour des durs il en voyait tout les deux jours, mais des vrais professionnels de la castagne ? C'était plutôt rare dans le coin et, le moins qu'on puisse dire, c'est que ces gens étaient équipés : Mindfeel, héroïne de la controversée fondation Aegis, était une véritable armurerie sur patte. Il suffisait de regarder son véhicule pour comprendre qu'elle avait l'habitude de se battre contre des criminels ayant une sacré puissance de feu. Si la police Japonaise avait accès à des véhicules comme ça, la criminalité chuterait jusqu'à un niveau historique ! Le policier bavait de désir rien qu'en y pensant, et il n'était pas le seul à fantasmer... La moitié de ses collègues, qui prenaient leur café sur le parking comme à leur habitude, s'étaient rapproché pour inspecter la moto. Mindfeel avait l'habitude de voir les locaux loucher devant son équipement. Il était bien plus attirant que le costume d'All Might au yeux de ces gens qui affrontaient le crime avec des outils similaires. Elle se contentait donc de fumer sa cigarette, les fesses posées sur le moteur de son engin, et de répondre aux questions du mieux qu'elle pouvait.

"C'est fabriqué à la chaine par un sous traitant australien, mais c'est de la super qualité ! Ma boite à plusieurs variantes, histoire de s'adapter au terrain, et elles ont toutes un petit quelque chose de spécial."

"Votre piétaille paramilitaire à le droit à ce genre de jouets ?"

"Nah. C'est pour les héros."

"Dommage. J'aurais peut être changé de carrière. Vous attendez qui comme ça ?"

"Kyanseru."

Les yeux de Kanake s'écarquillèrent alors que deux ou trois cols bleus manquaient de recracher leur café. Lorsqu'on assignait une femme de terrain à un boulet comme l'autre... incapable, c'était qu'elle avait fait une sacré connerie et qu'on voulait la punir. Le commandement devait avoir quelques comptes à régler avec Mindfeeel. L'officier se souvenait encore de la dernière fois qu'il avait croisé l'autre idiot en action. C'était une interpellation : Kyanseru avait sauté au travers d'une fenêtre plutôt que de passer par la porte de derrière "parce que c'était plus cool...", et il s'était ouvert la main au passage. Un incident cartoonesque, et incroyablement déprimant. L'inspecteur Kyanseru ne connaissait pas le sens du mot procédure...

"Vous êtes mal tombé ma petite dame."

"Tant que ça ?"

"Vous imaginez même pas. Vous compter le faire monter sur cette beauté ?"

"Je suppose."

"Et avec quel type de ruban adhésif comptez vous l'attacher pour le forcer à grimper à l'arrière ?"

Kyanseru détestait les deux roues. Tout ses collègues savaient ça.

C'était juste trop beau pour être vrai...

Les émotions de Kanake venaient de basculer vers une joie enfantine. Il n'était pas le seul dans ce cas : le sourire qui se formait sur le visage de l'assistance annonçait à Sarah qu'elle était sur le point de vivre une chose d’exceptionnelle. L'autre autiste avait une réputation qui dépassait les employés de l’accueil. Plus elle en apprenait sur lui, plus elle avait l'impression d'avoir été assigné à un pauvre gosse coincé dans un monde d'adulte. Enfin, si on exceptait le fait que le dit enfant avait été capable de lui analyser les points forts et les faiblesses de tout les évadés en moins de dix secondes ! Reste que ça ne voulait rien dire... Les statistiques montraient que les "génies" masculins avaient tendance à être défaillant socialement. Visiblement, le beau Noah ne faisait pas exception à cette règle.

"Je vais l'attendre avec vous, juste pour rigoler un peu..."

"C'est quoi le truc avec Kyanseru ? Vous pouvez tout me dire, j'ai une formation en psychiatrie."

Kanake éclata d'un rire franc alors que ses collègues expliquaient leur ressenti à Mindfeel. Un agent, la trentaine, prit la parole avant de s'effacer devant sa camarade mutante. Ils parlaient de Kyanseru comme d'un petit frère handicapé.

"Il est très compétent, mais il est un peu stupide en société."

"C'est exactement ça. Il vit dans un monde différent l'inspecteur. Il est bon dans son domaine, mais quand on lui demande d'en sortir... Faut pas s'attendre à des miracles quoi !"

"Moi je pense que c'est un sale con."

"Faites attention à ce que vous dites, il arrive."

"Je m'en fiche. B'jour Inspecteur Kyanseru, regardez donc la tronche de votre véhicule de fonction ! Pas mal non ? Y'a même une jolie jeune femme en prime sur le bastingage. Moi je dis que vous avez de la chance !"

Le silence qui suivit cette remarque fut apocalyptique. Sarah se leva de son siège, jeta sa clope au sol et enfila son casque. Son sourire montrait clairement l'horrible dilemme qui se jouait dans sa petite tête : devait elle réprimander l'officier pour sa conduite ou se laisser aller et éclater de rire devant cette jacquerie ? Les agents Japonais s'écartèrent du véhicule pour la laisser démarrer, et la jeune femme décida que la meilleure option était  de conserver son rictus. De plus, le mal était déjà fait... L'esprit de son binôme venait de se transformer en un tel amalgame de peurs stupides qu'elle préférait éviter de le regarder dans les yeux, histoire de ne pas l'effrayer encore plus. Elle se contenta de soupirer et de se cabrer sur son véhicule. Elle mourrait d'envie de briser le concept très Japonais des limitations de vitesse. L'officier kanake, quand à lui, était aux anges. Ses dents blanches hurlaient au monde toute la joie qu'il ressentait devant cette situation plus qu'épicée...

"Bon, vous montez ou je dois attendre que vous vous transformiez en voiture de course ?"

La Lawhammer de Sarah :

"Tout va bien Kyanseru ? Je t’ai jamais vu aussi déprimé ici. Mettre un gilet pare-balles normalement ça te rend fou de joie."

"J’suis pas seul sur le coup."

"Même ça normalement ça t’abat pas autant. T’es avec Tsukauchi, peut-être ? Je sais que t’aimes pas son Alter et..."

"Héroïne."

L’agent resta interdit. Il n’avait pas besoin d’en dire plus. Il se contenta de vérifier l’autorisation donnée par le capitaine pour que l’inspecteur accède à l’armurerie et ouvrit les portes de la caverne au trésor. Noah, en traînant des pieds, y pénétra et en ressortit quelques minutes plus tard avec un pare-balle sous le manteau et un deuxième USP, chargé de balles en caoutchouc tactique à l’inverse de son arme courante.

"Bonne chance Kyanseru."

"Mhhh."

L’inspecteur se laissa mollement porter par ses jambes jusqu’au bas du commissariat.

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"B'jour Inspecteur Kyanseru, regardez donc la tronche de votre véhicule de fonction ! Pas mal non ? Y'a même une jolie jeune femme en prime sur le bastingage. Moi je dis que vous avez de la chance !"

Noah poussa un soupir déchirant. Bien sûr. Bien sûr que ce n’était pas merdique jusqu’au bout s’il ne devait pas monter sur une moto. Et ce brave Kanake, son fidèle ami, qui n’avait pas la moindre idée de son aversion envers les deux-roues. Il n’eut pas le temps de proposer de monter dans sa voiture personnelle que déjà Mindfeel faisait rugir le moteur. Noah considéra pendant une dizaine de secondes la panthère enragée que chevauchait l’héroïne. Il cherchait un moyen rapide et discret de mettre hors d’état de nuire le véhicule, mais malheureusement les pneus semblaient tellement solides qu’il avait l’impression qu’une balle bien placée aurait ricoché dessus. Quand au réservoir d’essence, il n’arrivait pas à le localiser. Dommage, il avait chipé des sachets de sucre à la salle de pause, qu’il aurait pu vider dedans.

"Bon, vous montez ou je dois attendre que vous vous transformiez en voiture de course ?"

Il fut tiré de ses plans de sabotage par la réflexion de sa partenaire du jour.

"Comme Bumblebee..."

Il se redressa vivement et fit demi-tour.

"Permettez, je vais chercher un casque."

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"Déjà de retour, Kyanseru ?"

"File-moi un casque je vais sur une moto."

Les yeux de l’agent s’écarquillèrent, incrédule devant cette déclaration.

"Je pense qu’on en a un a ta taille dans les objets trouvés mais..."

"Tu m’as mal compris. Je veux un casque."

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Marche triomphale. Son visage dissimulé derrière un casque tactique noir d’unité d’assaut, Noah Kyanseru avançait sans frémir. César franchissant le Rubicon. Même si ses yeux étaient dissimulés par l’épais vitrage sombre, il ne lança pas un regard à ses collègues. Il se contenta de s’asseoir à l’arrière de la moto, bras croisés. Alexandre le Grand entrant dans Babylone.

"Pied au plancher, la justice n’attend pas. C'est à une demi-heure d'ici, on y est dans 10 minutes."

Une bravade destinée à l’encourager lui-même autant qu’à impressionner son entourage. Il espérait qu’il serait assez loin de Kanake avant de se mettre à crier. Il s’agissait de ne pas faire une mauvaise impression auprès de son cher collègue. Jean Moulin gravissant les marches du Panthéon.

Un homme courageux n'est pas quelqu'un d'insensible. Un homme courageux est quelqu'un qui avance malgré la peur. C'était la première chose que Snipe avait apprit à Mindfeel, et Kyanseru incarnait ce précepte jusqu'au plus profond de son âme. Il avait des couilles pour un inspecteur de bureau. Tant que son gros cerveau lui fera porter des casques pour cacher au monde le fait qu'il est une petite fille terrorisée, sa réputation ira dans le bon sens. Il suffisait de voir la tête de l'officier Kanake pour se rendre compte que ce genre de bravade avait plus d'effet qu'un ordre gueulé un peu trop fort.

Reste qu'il faut faire attention à ce que l'on souhaite.

"Accrochez vous à quelque chose, n'importe quoi."

Le Terminator du pauvre eût à peine le temps de serrer ses mains autour du pilote du bolide que le moteur hurla son impatience. Mindfeel jeta un regard dans la rue alentour, calcula qu'elle n'avait que quelques secondes pour s'insérer dans la circulation, et se glissa sur la route avec une roue arrière aussi brusque qu’illégale. Kanake voulu lui souhaiter bonne chance, mais il n'eut pas le temps de terminer sa phrase. La jeune femme prit une pointe à 100 km/heure d'entrée, les sirènes de son véhicule de fonction hurlant son arrivée aux civils les plus proches. Une vive émotion lui indiqua la présence d'un piéton sur sa droite. Elle pila sur le frein, prenant l'intersection en dérapage contrôlé devant une grand mère médusée. L’héroïne aimait beaucoup trop la conduite sportive pour s'empêcher d'être un danger publique. La psyché de Kyanseru, quand à elle, ne ressemblait plus à grand chose. Le seul point commun entre ses émotions était une volonté d'en finir, et une certaine tendance à appeler à l'aide.

Le pauvre garçon n'était définitivement pas préparé pour le raccourci qu'elle allait lui coller dans les dents.

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Les pneu de la moto se calèrent doucement sur le bord du trottoir alors que Mindfeel retirait son casque, laissant respirer sa chevelure. Cela faisait quelques minutes qu'elle avait éteint les sirènes et repris une vitesse normale, il n'était pas question d'effrayer des suspects avec des bruits digne de la seconde guerre mondiale, mais l'inspecteur Kyanseru la serrait toujours aussi fort. Il tremblait un peu, et sa respiration était l'une des choses les plus hilarante que l’héroïne avait entendu depuis son retour au Japon. Heureusement pour lui, son gros casque de la SAT camouflait sa tronche d'enfant terrorisé et le combo pardessus gilet pare-balles lui donnait l'aspect d'un mercenaire coréen. Quelques civils les observaient avec un air paniqué, mais la tension redescendit d'un cran lorsque la jeune femme descendit du véhicule. Son insigne de héros était bien plus visible de face que de profil.    

"Sept minutes, pied au plancher. Vous pouvez lâcher mon torse maintenant inspecteur RoboCop. Au passage, j'aime beaucoup vos flingues, mais je ne comprendrai jamais comment vous vous en tirez sur le terrain avec des munitions aussi nazes."

Le regard de la jeune femme parcourut les environs avec l'esprit douteux d'un soldat en zone de combat. C'était une zone résidentielle active, mais les gens qui y vivaient ne roulaient pas sur l'or. Beaucoup de petits salariés en sommes. Ce n'était pas un terrain d’interpellation idéal, et on pouvait tomber sur un môme ou un vieux au moindre coin de rue. Utiliser du gaz ici était possible, elle n'avait rien de létal sur elle, mais elle se devait de faire attention. Quelques secondes suffirent à la jeune femme pour enfiler son masque à gaz et reporter son attention sur son camarade, qui allait bien se remettre du trajet un jour ou l'autre.

"Je sais que vous n'avez pas le droit de l'utiliser mais je suis curieuse : il fait quoi votre Alter ?"

"Accrochez vous à quelque chose, n'importe quoi."

Quelle phrase terrifiante. Noah, par pur réflexe, se cramponna à la taille de l’héroïne alors que cette dernière démarra en trombe. Plus précisément, Noah manqua de se vautrer lors du démarrage mais utilisa son Alter afin de se remettre en place. Une manœuvre rapide, instinctive, qu’il ne serait certainement pas capable de reproduire consciemment.

Sirènes hurlantes, moteur rugissant, policier gémissant. Derrière le casque, heureusement, son visage n’était pas visible. Ses émotions, toutefois, l’étaient, pour Sarah. Mais il ne pensait plus à ça. Il voulait juste arriver en vie.

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Quand le duo s’arrêta, Noah resta agrippé à Mindfeel pendant de longues secondes qui lui parurent être un battement de paupière. Pour lui, le paysage continuait de défiler à toute berzingue alors pourtant que son corps était immobile. L’héroïne lui intima de la lâcher, ce qu’il fit sans broncher, avant de critiquer son armement. L’inspecteur retira son casque massif avant de grommeler une réponse à peine audible, tout secoué qu’il était.

"Le caoutchouc c’est obligatoire sur les cibles de dangerosité C ou moins. J’ai du parabellum dans mon arme d’autodéfense mais ici, ça se mérite. Pas comme chez vous."

Il descendit du véhicule et se tapota les joues des deux mains avant de sortir de sa poche un bâtonnet d’esquimau qu’il se mit à mâchonner. Du nerf, Kyanseru. Son regard sombre se posa partout en quelques secondes. Rien qui ne dépassait les trois étages, à deux exceptions près, deux imposants immeubles collés l’un à l’autre. L’inspecteur fit quelques pas en arrière et sur le côté. Il n’y avait pas d’autre bâtiment aussi grand derrière eux. Dans l’esprit bouillonnant bien que secoué de Noah, des cases se cochaient, des idées étaient jetées au feu, d’autres prenaient place autour d’une grande table. Le jardin intérieur de Noah n’avait pas de forme fixe, c’était un lieu chaotique qui changeait du jour au lendemain. Il ne croyait pas en un « palais mental » stable. Pure invention des séries des années 2010, à ses yeux.

Il déambulait sur les trottoirs, passant d’un côté de la rue à l’autre, hochant de la tête pensivement. Il avait l’air ivre, le tournis occasionné par le trajet n’aidant pas à sa stabilité. Il fut tiré de ses réflexions par une question.

"Je sais que vous n'avez pas le droit de l'utiliser mais je suis curieuse : il fait quoi votre Alter ?"

Il se tourna et remarqua que Mindfeel avait enfilé un masque à gaz dans le plus grand des calmes. Quelle angoisse. Elle savait pertinemment que l’ennemi n’avait pas de gaz quelconque ou de moyen de s’en procurer rapidement. Et ça ne faisait probablement pas partie de son équipement héroïque sans raison. Donc… Mieux ne valait pas y penser, il aurait le temps de l’empêcher d’utiliser son truc une fois le moment venu.

"En fait j’ai le droit de l’utiliser tant que c’est en défense pure. Par contre je n’ai pas le droit d’agir en me disant "Je n’aurais qu’à utiliser mon Alter à ce moment". La distinction est là."

Noah avait détourné son regard de Sarah et avait repris son errance observatrice. Le nez en l’air, il continua de répondre.

"Je sais pas si vous avez lu la partie 8 de Jojo’s Bizarre Adventure, Mindfeel, mais à un moment Norisuke Higashikata dit "Un Stand c’est comme un trou du cul, on sait qu’on en a, mais c’est pas pour ça qu'on doit le montrer sans raison"."

Il ne dit rien pendant quelques secondes, le temps de laisser croire à sa partenaire qu’il allait en rester là, puis repris avec nonchalance.

"Je peux faire voyager ce que je touche dans le passé tout en conservant leur existence matérielle dans le présent."

Il jeta son bâton d’esquimau, devenu une boule mouillée de copeaux de bois, dans une poubelle non loin.

"Bof, quoi."

Il s’approcha de Mindfeel et pointa du doigt une résidence située au bout de la rue.

"Handoru est là-dedans mais va changer de baraque dès qu’on va la déranger. C’est la résidence du gros proprio du coin, et on peut le voir à l’accueil à cette heure. Donc son appart au rez-de-chaussé est vide. C’est là qu’Handoru est allée, en faisant une porte pour entrer sur le côté. Elle attend probablement collée à un mur, si on la chope elle va passer  au bâtiment d’à côté et ainsi de suite, quitte à se faire voir par des gens elle pourra profiter de l’effet de surprise pour se tracer un chemin sans souci à grands coups de portes. Ah et bien sûr, elle ne montera jamais au-delà du troisième étage, même si elle atteint les immeubles. Faire ça, ce serait se priver de sa faculté de passer de mur en mur, vous comprenez. C’est pas exclu qu’elle procède par sauts depuis des étages supérieurs par contre, elle en a dans les guibolles, donc si on la loupe au premier passage faudra pas exclure cette possibilité."

Il s’avança en direction de la résidence désignée. Il fit une volte-face, marchant à reculons, afin de faire face à Mindfeel.

"Enfin tout ça pour dire qu’il faudrait que vous vous caliez contre le mur est, vérifiez avec votre Alter que y’a bien quelqu’un de l’autre côté, faites-moi signe et j’irais la surprendre depuis l’intérieur. Et après ça, vous l’interceptez quand elle ouvre une porte dans le mur pour s’en sortir. Et sans violence excessive, merci."

Le signal, ce n’était pas vraiment nécessaire. Il était sûr à 100 % que leur cible se trouvait là. Mais bon, la coopération, tout ça.

L'inspecteur finit par reprendre gout à la réalité. Sa démarche de canard bourré se stabilisa, et il sortit un petit bâton de bois qu'il commença à sucer vigoureusement. Un réflexe anti-stress salutaire, mais un peu ridicule pour un adulte aussi barbu. Il répondit à la question, mais son marmonage était tellement pitoyable que l'américaine n'en compris pas un mot. Très franchement, elle doutait du fait qu'un autre Japonais y aurait déchiffré quoi que ce soit.

"Vous pouvez vous répéter ? J'ai rien compris."

"Je sais pas si vous avez lu la partie 8 de Jojo’s Bizarre Adventure, Mindfeel, mais à un moment…"

Noah se lança dans une tirade : il voulait prouver que son Alter était ridicule. Ayant conclut sa tâche, il lança le reste de son bâtonnet dans une poubelle, révéla au monde la présence de l’immeuble du fond, et planta derrière lui une jeune femme médusée. Il manipulait le temps… L’autre débile manipulait le temps au pays des super-héros et il se retrouvait là, coincé dans un commissariat de police ou tout le monde le prenait pour le clown, alors qu’il aurait pût se faire tellement de fric ! Quel imbécile ! Cet homme n’avait vraiment aucune idée de sa valeur marchande… Sa maman devait s’en mordre les doigts ! Si seulement elle pouvait… et puis zut, ce n’était pas le moment !
La jeune femme se contenta de retenir son fou rire derrière son masque à gaz et de hocher la tête : le plan de l’autre autiste se tenait, il était certain de son coup et il avait l’expérience du terrain.

"Je vous dit ça, vous inquiétez pas. La coopération, tout ça… Remarquez, je n’ai pas besoin de me coller contre le mur. Laissez moi cinq secondes..."

Il n'y avait pas beaucoup de monde dans la rue à cette heure. La plupart des gens travaillaient, seuls les personnes âgées déambulaient aux alentours. Les quartiers résidentiels n'étaient pas des zones ou les boites se posaient pour parler business. Il n'y avait rien de plus mort en journée : scanner la zone fût rapide, plus que ce que la jeune femme aurait pensée, et le génie de Kyanseru se confirmait au fur et à mesure de ses explorations. La prédiction était juste, et son Alter servait uniquement à justifier l'assaut aux yeux de la paperasse. La capacité d'analyse de l'autre nigaud était impressionnante, surtout pour un mâle de son âge.

"Deux personne, mais pas dans la même pièce. Quelqu’un colle bien le mur là ou vous le pensiez, pas de panique chez le sujet mais une vigilance anormale. Il y a un enfant endormi dans une pièce à l’arrière, sans doute via la deuxième ou la troisième porte à droite, mais il pourrait aussi se trouver dans l’appartement voisin. Il est dans un stade de sommeil profond, sans doute un peu malade. Le veinard loupe l’école."

La cible savait fuir, mais elle n'était pas dangereuse. La blesser n'avait pas d'intérêt, n'importe qui serait devenu cambrioleur avec un Alter pareil, mais Mindfeel allait devoir se concentrer pour ne lui laisser aucune issue : la plaquer au sol rapidement se devait d'être une priorité, histoire de sécuriser tout le monde. La voleuse y perdrait peut être quelques dents, mais que représentait une dent face au marteau de la Loi japonaise ?

Quelque chose chuchotait des mots doux dans l'oreille de Sarah. Elle savait dans son petit coeur que cette opération avait un potentiel rigolo.

"Pas la peine de me regarder comme ça. Vous rentrez ou je vous pousse ?"

Casse-pieds au possible, mais redoutablement efficace, cette femme. Il la regarda s’avancer à ses côtés pour détecter les gens au rez-de-chaussé du bâtiment. Noah la regardait avec lassitude et désapprobation. Un tel alter… Elle ressentait les présences ! L’autre pouffiasse ressentait les présences des gens au pays des crimes non-résolus et elle se retrouvait là, coincée dans une unité spéciale d’excités de la gâchette où tout le monde la considérait probablement comme un modèle à suivre alors qu’elle aurait pu avoir tellement la classe ! Quelle demeurée ! Cette femme n’avait vraiment aucune idée de sa valeur policière… Ses ancêtres devaient se retourner dans leur tombe ! Si seulement il pouvait… Et puis merde, il n’avait pas que ça à foutre.

"Deux personne, mais pas dans la même pièce. Quelqu’un colle bien le mur là ou vous le pensiez, pas de panique chez le sujet mais une vigilance anormale. Il y a un enfant endormi dans une pièce à l’arrière, sans doute via la deuxième ou la troisième porte à droite, mais il pourrait aussi se trouver dans l’appartement voisin. Il est dans un stade de sommeil profond, sans doute un peu malade. Le veinard loupe l’école."  

Noah adorait louper l’école à cause de la maladie. Ses grands-parents lui servaient un chocolat chaud et ils passaient la journée à regarder Die Hard 5 en boucle, dans un délire fiévreux qui était probablement la raison pour laquelle Noah avait été capable d’apprécier ce film en premier lieux. Mais, refusant d’être d’accord avec Mindfeel, il déclara :

"L’école c’est important."

Après avoir sorti ces mots d’un panache inégalé, Noah regarda quelques instants sa partenaire, comme s’il s’attendait à ce qu’elle réponde à ce curieux cri du cœur. Elle n’en fit rien.

"Pas la peine de me regarder comme ça. Vous rentrez ou je vous pousse ?"

N’ayant pas envie d’être poussé, il rentra tandis que l’héroïne alla se placer entre les deux bâtiments, près du mur de sorte à intercepter Handoru lorsqu’elle s’enfuirait. Lorsqu’il rentra, le concierge, un homme d’une cinquantaine d’années à la peau bleutée et tachetée telle celle d’une grenouille dendrobate azureus, fidèle à son poste, leva les yeux de son livre et devint visiblement nerveux. La vision d’un homme à l’air vaguement hagard portant un gilet pare-balle par-dessous un grand manteau avait de quoi inquiéter un citoyen lambda peu habitué à ce genre de troubles. Encore heureux qu’il ne voyait pas le véritable agent Black Ops qui se trouvait à l’extérieur. Il avait tiré le bon numéro en terme de représentant de l’ordre, bien qu’il ne le savait pas.

Kyanseru dégaina son badge avec maîtrise et rapidité. Des heures d’entraînement devant le miroir.

"Noah Kyanseru, police nationale. Une fugitive en cavale se trouve dans votre salon. N’ayez crainte, vous n’êtes pas accusé de complicité quelconque, le suspect est doté d’un alter de passe-muraille. J’aurais juste besoin que vous m’ouvriez la porte vers le mur est."

Le concierge bégaya un instant.

"M… Mon fiston…"

"Est en sécurité. N’ayez crainte."

"La… La porte est ouverte..."

D’un doigt tremblant, il désigna la porte derrière lui. Noah passa derrière le bureau, le remercia d’un mouvement de tête, se saisit de son arme chargée au caoutchouc et ouvrit.

Il progressa lentement en direction de la présence indiquée par Mindfeel. Il se retrouva bientôt face à une porte. Il colla son oreille contre le bois. Il entendait un souffle haletant. Parfait. Sa partenaire n’aurait pas de mal à la cueillir. Il ouvrit la porte, sans la défoncer, par considération pour le jeunot endormi.

"Police, ne bougez plus, les mains sur la tête, et pas un geste, plus vite que ça, allez allez, pas de résistance, n’essayez pas de..."

Il n’eut pas le temps de finir sa tirade que Keika Handoru, un beau brin de fille aux cheveux rasés, avait déjà poussé le mur derrière elle, faisant basculer ce dernier comme une porte. Elle se jeta à l’extérieur. Noah serra les dents, en espérant que l’héroïne se montre moins brutale avec la criminelle qu’avec lui-même quelques instants plus tôt.

Psionic était un Alter idéal pour un officier de terrain. Non content de vous permettre de manipuler divers armes comme personnage de Matrix, la mutation vous permettait de suivre l’avancement de vos hommes avec une précision chirurgicale. Kyanseru était rentré. Kyanseru discutait avec un civil inquiet. Kyanseru se mettait dans sa meilleur posture d'inspecteur ninja. Kyanseru ouvrait la bouche, et la personne qui se planquait derrière le mur se transforma instantanément en une horrible boule de panique. Sensation de confusion générale et léger déplacement... La salope allait tenter le coup ! Elle allait passer par le mur ! Oh l'idiote. Oh la grosse conne ! Un ricanement ridicule jaillit de la bouche de Mindfeel : elle n'avait aucune envie de laisser passer une aussi belle occasion de tirer sur de la Japonaise !

La poigne de l’héroïne se resserra lentement autour d'une grenade au gaz...

Keika Handoru jaillit du mur avec l'espoir de s'en sortir : la Liberté était visible jusqu'au fond de ses yeux. Soudainement, son regard se figea sur le masque à gaz de Mindfeel, puis sur ses armes. Quelque chose de beaucoup plus sombre traversa ses petits yeux d'asiatique. Elle articula quelque chose, mais une fumigène propulsée à grande vitesse lui explosa sur la gueule avant qu'elle n'ait pût produire le moindre bruit. Il y eu un clic, comme si quelqu'un venait d'ouvrir une canette de soda, et un énorme nuage de fumée se forma autour de la contrevenante, qui ne comprenait décidément rien à sa situation. Sarah n'hésita pas une seule seconde. Elle s'élança, et son poing fracassa la mâchoire de sa cible avec une telle force qu'elle en eu un orgasme auditif. L’héroïne eu à peine le temps d'intercepter son adversaire qu'elle était déjà KO.  

"HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAN ! VOILA !"

Le gaz, visiblement amusé par la situation, se dispersa dans la rue avec une vitesse exemplaire. Une partie non négligeable passa via la "porte" dans l'appartement, mais on ne faisait pas d'omelettes sans casser des œufs. Mindfeel ne se relâcha pas et passa les menottes à la princesse endormie en sifflotant. Elle releva son gant avec un sourire avant de remarquer que que quelque chose était coincé dedans : quelque chose de solide et blanc.

"Est ce que c'est, genre, une putain de dent ?"

Après extraction, il s’avéra que c'était effectivement une putain de dent. La suspecte était en carence de produit laitiers. Son Alter était sympathique, elle avait rarement vu quelque chose d'aussi simple et pratique, mais la criminelle n'était vraiment pas au point physiquement. Qui sur cette planète perdait une dent après un gazage, un coup de poing et un menottage ? Cette fille était vraiment faiblarde. C'était peut être pour ça qu'elle se rasait le crâne en vérité : un signe qui voulait dire "ne me tapez pas" ou quelque chose comme ça.

Est ce que les prisons locales avaient des dentistes au moins ?

"Elles sont vraiment faibles les Japonaises, c'est terrifiant. Dans ma jeunesse elle encaissaient bien mieux que ça. Vous en pensez quoi inspecteur bouche qui tombe ?"