Prochain arrêt : 7e porte des enfers [pv:Barī]

A quoi s'attendait-il au juste ? Un peu de compréhension ? Eventuellement de l'humanité ? Il était de toute évidence hors catégorie, il n'y avait donc pas de raison d'en demander. Car il n'était pas allé faire la manche mais pointer à son travail après deux semaines d'absence comme s'il avait été séquestré ou qu'il était parti en vacance, au choix. Finalement, il ne pouvait même pas en vouloir à son patron. "Je ne sais même pas pourquoi tu es revenu, tu es parti sans prévenir, on a déjà trouvé quelqu'un pour te remplacer."

Ce n'était étonnement pas la première fois qu'il entendait ces mots. Ou au moins la partie sur le fait de le remplacer. Clairement, il n'avait jamais été "irremplaçable" et même en tentant de faire quelque chose qui aurait pu aider les gens, il avait failli à la tâche. La personne qui le remplacerait serait certainement plus compétente, plus disponible. Il ne comprenait même pas comment il avait pu espérer qu'il en soit autrement.

Néanmoins, à ce moment précis, il n'avait pas le temps de s'apitoyer sur son sort. Qu'y aurait-il de bon à totalement se laisser aller ? Rien, mis-à part peut-être perdre son appartement. Il avait tout juste de quoi payer le prochain loyer et la propriétaire lui avait bien fait comprendre qu'aucun retard ne serait toléré. Il avait donc passé l'après-midi à faire le tour des commerces dans l'espoir que l'on cherche un employé sans réelle expérience et avec beaucoup trop d'anciens petits boulots à son actif. Ce n'était pas une bonne publicité mais c'était la seule qu'il avait. Les supérettes, les services de livraison à domicile, l'entretient de la voie publique. Beaucoup étaient passés à la trape simplement car il ne s'en sentait pas capable.

Finalement, il avait continué sa ronde jusqu'à ce qu'il ne trouve plus sur sa route que des portes fermées. Il était tard et il était très certainement le seul idiot encore en train de chercher. Il faisait donc le choix difficile de rentrer bredouille pour aujourd'hui. La journée avait été fatigante et même s'il n'aimait pas la solitude, que le dernier wagon soit vide à son arrivé lui laissait au moins l'occasion de s'asseoir pour trouver un peu de repos et peut-être aussi éviter d'éveiller la pitié d'un passant.

Il s'installait donc dans un coin, le dos posé contre le dossier et l'arrière de la tête rencontrant la vitre. Il n'était pas tout à fait certain du nombre d'arrêts qui le séparaient du sien. Il en connaissait par contre le nom. Il aurait simplement à être un peu attentif aux annonces. De toute façon, la journée pouvait difficilement être pire.

Kass avait au moins fait en sorte d'éviter de tomber malade. Il ne trouvait plus son casque depuis son "absence". Mais il avait pu mettre la main sur son manteau et son écharpe. Il ne pouvait pas prendre le risque de trouver un emploi et de se faire porter pâle lors du premier jour. Quelque part, il en avait marre de n'être qu'un objet de déception, ou pire, une personne en qui l'on aurait pas voulu placer sa confiance dès le départ.

“Oy Barī, eh bah, t’es resté tard !”

Et mince. Je m’arrête, la porte était proche, si proche !

Je me retourne pour fixer Haru, enfin...fixer ses pieds.

“Eh ! Le chef...euh...voulait que quelqu’un fasse l’inventaire de la salle de stockage.”

Et le pire, c’est que j’ai l’impression que ça a duré une éternité. Enfin tu me diras, il faisait jour quand je suis rentré dans la salle, et là, c’est la nuit.

“A cause des derniers vols ?”

C’est bien ça l’ami, des vols. C’est assez fou quand on y pense, on est qu’un groupe de service après-vente, et on n'a pas les meilleurs casques audios du marché. Et pourtant, y'a bien eu des petites disparitions dans la salle de stockage.

“Ah...Bah...Tu connais le chef, il voulait s’assurer que tout était en place.”

Difficile de lui en vouloir, quand on se rend compte d’un vol, la première chose qu’on a envie de faire, c’est de vérifier que rien ne manque de plus. Pourquoi il m’a choisi ? Ça, je n’en sais trop rien. Peut-être car je suis celui qui a le plus peur de perdre ce travail ?

Soit ça, soit la personne sur les caméras de surveillance ne portait pas de cornes sous sa capuche...Ouais bon, cherche pas plus loin...

L’espace d’un instant, je relève le regard vers Haru. Si y’en a bien un qui pourrait jouer Batman dans un prochain film, c’est lui. Non, c’est vrai, regarde-le.

Haru, le concierge, toujours dans notre ombre. Il surgit de nulle part, et disparait presque aussitôt après. Et même quand tu ne le vois pas, tu rentres dans la salle, et juste à l’odeur, tu sais...Oh oui, tu sais qu’il est passé. Son bat-signal, c’est l’effluve de javel. Ses gadgets, c’est sa serpillière et son spray. Et sa batmobile, c’est son petit chariot qu’il transporte absolument partout.

Je me surprends à sourire un peu en l’imaginant comme ça. Ça, ça c’est du héros.

“Eh bah, t’en fait une tête. Tu dois être extenué, allez. File !”

...Pas plus que ça, je souris juste en fait. Bah, qu’importe !

“Je vais y aller oui...Bonne soirée monsieur Haru.”

Il me fait un petit geste avec un sourire sincère. C’est vraiment quelqu’un de bien, Haru. Je sais bien que mon alter le déstabilise, comme tout le monde, mais il ne me l’a jamais montré. Il me dit toujours bonjour, il me sourit toujours chaleureusement.

C’est avec un dernier sourire que je lui tourne le dos avant de pousser la porte de l’entrée, m’engouffrant dans la rue.

La vache, la lune est vraiment haute dans le ciel. Et autours de moi, quasi tout est déjà fermé. Je ne sais pas combien de temps je suis resté là-dedans, mais c’était beaucoup trop.

Je serre un peu des dents, s'il est trop tard, la fréquence des trains pour rentrer chez moi va être grandement augmenté. Et la dernière chose dont j’ai envie, c’est d’attendre une bonne heure sur le quai.

Je presse un peu plus le pas, une ruelle par ci, une ruelle par là. Et l’escalier menant à la plateforme de la gare apparait droit devant !

Ni une, ni deux, je m’engouffre dans l’escalier et vient en monter les marches. Et là...Voilà que j’entends le bruit.

Le bruit diffusé par les haut-parleurs de la plateforme, annonçant aux voyageurs imprudents de ne pas gêner à la fermeture des portes.

Oups...

Mince, mince, mince, mince !

Ça, ça veut dire que le train va partir, et que je n’ai pas beaucoup de temps !

Dans un élan, je m’élance, je me mets à courir sur le quai en direction du wagon le plus proche.

Allez, allez !

Je vois le wagon qui se rapproche à chacun de mes pas, et le bruit désagréable qui me rappelle encore et encore qu’il s’apprête à partir !

Allez ! Allez ! Et...J’y suis !

Piouf ! Les portes se sont fermées juste derrière moi. C’était juste, c’était très juste !

C’est les jambes bien tremblantes que je m’assois sur le siège le plus proche. Je ne suis vraiment pas fait pour la course, je suis tout en sueur, et à bout de souffle.

Je regarde autour de moi un instant, c’est...assez anormal. Le wagon est complètement vide, si ce n’est un jeune homme au...

AH ! Je serre les dents un instant avant de détourner mon regard ailleurs. C’est déjà bien spécial comme ambiance, pas besoin que mon alter s’en mêle.

Je reste là un petit instant, à fixer mes pieds. Tandis que je sens la légère vibration qui indique que le train se met en mouvement.

Allez, bientôt à la maison.

O mon lit, que tu m’auras manqué...

Ce n'était pas le moment pour les idées noires. Il devait savoir relever la tête et être fier. C'aurait été plus simple s'il avait de quoi être fier, quelque chose qui ressortirait sur son cv. Mais il n'avait rien de tout cela. Il devait donc être un cancre fier, fier de ne pas trop renoncer non plus. De toute façon il n'en avait pas le luxe, il devrait donc se débrouiller quoi qu'il arrive.

Il se souvenait encore du commentaire d'un des employeurs potentiels : "c'est quoi ça, vous êtes une mère au foyer ?"; Car Kass ne pouvait qu'accepter les horaires courtes à cause de son rythme de sommeil qui n'allait pas en s'améliorant. Non, tout le monde n'avait pas besoin d'un minimum de 11h et jusqu'à 15h dans les mauvaises périodes. Il ne vendait clairement pas du rêve non. Peu d'heures, petit salaire, c'était cohérent. En soit. Mais ces critères étaient de plus en plus durs à trouver, souvent plutôt occupés par des étudiants, ce qu'il n'était plus.

Il ne fallait jamais compter sur sa foi pour se réaliser à sa place, il le savait. Et il ne manquait d'ailleurs pas de sortir sa croix de sa veste pour la regarder un instant, pensif. Il devait y avoir une raison à tout cela malgré tout et il aurait aimé la connaître, cela aurait rendu sa vie plus facile. Savoir que peut-être quelque part, une personne profitait de ce qu'il lui arrivait. Ou qu'il s'agissait d'un chemin pour le rendre plus fort, peut-être même renforcer sa foi ? Il poussait un léger soupir, personne ne semblait monter à cet arrêt non plus. Il aurait presque aimé voir quelqu'un monter pourtant. Il n'avait que d'avantage l'impression d'être seul et ce mordant était... difficile à avaler.

Du moins, c'est ce qu'il aurait cru mais finalement, il fut plutôt rassuré de capter du coin de l'oeil quelqu'un rentrer dans la rame ? Il n'y croyait plus mais le temps d'y jeter un coups d'oeil, il n'eut pas.. vraiment l'occasion de se réjouir très longtemps. Car il n'aurait jamais pu imaginer ce qui allait l'attendre. Cette... Chose, cette créature, ce monstre, ce démon tout droit sorti des enfers.

Impossible de détourner le regard alors que son rythme cardiaque décollait et que sa main se resserrait sur la croix qu'il tenait. Dire qu'il dévisageait le démon était un euphémisme. Mais c'était encore bien loin de son état quand il croisa son... regard. La sensation des poils se dressant sur sa nuque et la réelle sensation de peur cristallisant son état. Cette fois, impossible de ne plus le regarder, un démon venait partager sa rame et tout ce que Kass pouvait faire, c'était tenir sa croix tout en reculant encore un peu contre l'arrière de la rame comme si cette dernière allait s'étendre d'avantage pour lui laisser la place de reculer.

Évidemment...Évidemment que le pauvre gars a la trouille.  

En même temps, je me mets à sa place. Je n’aimerai franchement pas me croiser dans un contexte pareil. Je sais bien que de nos jours, les alters un poil étrange, c’est légion. Mais quand l’alter en question c’est de faire peur, je ne peux pas vraiment me considérer égaux aux autres.  

Je vois ces pieds qui recule au loin...Raaaaah, réfléchis Bari, qu’est-ce que tu fais ? T’en as encore pour un bon moment dans ce wagon. Okay...Euh...

Comme disait un personnage de comics, avec un grand pouvoir vient de grandes responsabilités...Bah, disons que je vois un peu la chose de la même manière. J’ai un alter qui provoque quelque chose de néfastes aux gens, et je ne peux pas l’arrêter. Je crois que la moindre des choses, c’est que j’essaye un minimum de rendre ça moins agaçant pour les gens qui ne m’ont rien demandé. Habituellement, les lunettes, ça suffit amplement. Mais là...Là c’est un cas particulier.  

Possibilité une, je considère qu’à la prochaine station, quelqu’un va forcément rentrer, et si c’est le cas, ça devrait régler le souci.  

...Ou possibilité deux, je fais quelque chose pour me tourner en ridicule. C’est difficile d’être intimidé par quelque chose qui est ridicule.  

Et puis zut, qu’est-ce que ça me coûte après tout ? Mon amour propre ? Bah ! Si ça peut éviter de pourrir la soirée de ce gars, ce n’est peut-être pas une si grande perte !

Le plan se met en marche dans ma tête, je me redresse, prenant la direction d’un siège en face de moi et...Un pas, deux pas, et trois...

Qui aurait pu croire que j’aime faire l’acteur ? Bah, techniquement, tous mes camarades d’école primaire. Mais ce n’est pas l’important, rappelle-toi grand, quand t’étais jeune, et que tu ne voulais pas aller quelque part. Ca marchais à tous les coups !

Je fais glisser mon pied un petit peu trop, je sens l’équilibre qui se renverse et...BADABOOM !

Je viens de me fracasser comme un gros abruti en plein milieu du wagon. Je suis sûr qu’on pourrait presque imaginer la peau de banane, et le bruit d’un cartoon dans le tas.  

Je laisse échapper un soupire, suivi de quelques mots.  

“Aïe...Aïe aïe...”  

Je m'assois en secouant la tête, et en me massant l’épaule. Bon, outre le côté ridicule de la situation, je passe à la deuxième étape du plan.  

Vu que le gars est un adulte, il l’aurait pris un peu mal si je m’étais agenouiller comme avec un enfant. Bah pourtant, quand quelqu’un fait peur, ça atténue l’effet quand il fait ça. Là, vu que je me suis gâlté, et que je suis simplement assis. Ça fait le même effet, mais sans qu’il ait l’impression que je le prends pour un gosse.  

Enfin...Sur la théorie...Et le papier...Et...

Raaah, faites que ça marche. Je vais encore m’en vouloir si je sors de ce train en étant persuadé d’avoir terrifié un pauvre gars.

Il était relativement rare pour Kass d'avoir aussi peur et malheureusement, même s'il n'avait pas souvenir d'avoir été violemment agressé dans une ruelle, son corps s'en souvenait quelque part, au-delà de la balafre qui en restait sur sa joue. Menant peut-être à une réaction, plus excessive encore qu'elle n'aurait du l'être. Oui, le japonais était mort de trouille et cela n'allait pas en s'arrangeant car la réaction pure de l'horreur n'était que la première étape dans une série.

D'abord il y avait donc la paralysie, son corps qui arrêtait de répondre et qui concentrait toute l'adrénaline présente dans ses veines pour trouver une issue, une échappatoire, forcé de constater que non, il ne pouvait pas arrêter le wagon pour sortir en urgence. Car la sonnette d'alarme était de l'autre côté. De la même manière se jeter contre la porte et se mettre à tambouriner désespérément ne le rendrait que plus vulnérable. Ses instincts lui criaient bien qu'il ne fallait jamais détourner le regard d'un prédateur. Donc pour l'heure, la solution la plus raisonnable était bien de rester ici, de ne pas bouger et d'imaginer plus promptement la prochaine étape.

C'était l'analyse. Ce qu'il avait en face de lui ne pouvait être qu'une chose, une de ces illustrations, semblables à ce que l'on pouvait observer sur les façades des églises baroques. Il n'en avait jamais vue mais il savait ce qu'était une gargouille. Et à défaut d'être en pierre, c'était donc un démon. Il ne savait pas si sa croix pourrait le protéger, on lui avait toujours dit que les démons se cachaient dans les gestes des hommes. Pourtant celui-ci ne semblait pas avoir fait de manière. Cette analyse, poussée par cette peur toujours transcendantes empêchait toute réelle remise en question. Dans son monde imaginaire, spécialement crée pour l'occasion, ne se côtoyaient plus que religion et superstition. La possibilité d'un alter ? Il l'avait écartée, ou plutôt s'était très facilement contenté de l'intervention maline.

Maintenant que pouvait lui vouloir ce démon ? Son âme ? Pouvait-il faire ça ? Ne fallait-il pas un marché ?! C'était réellement le premier cas de figure du genre. Avait-il fait quelque chose pour provoquer les enfers et les pousser à lui cracher cette chose sur le chemin vers son appartement ? Il devait avoir fait quelque chose. Ou il était mort et on venait le chercher ? Il allait aller en enfer ? C'est ainsi que cela se finissait ? N'aurait-on pas pu simplement le faire grimper dans une barque ou ouvrir une trappe sous ses pieds pour le laisser tomber dans les feux purificateurs ?!

Peut-être était-ce le fait du hasard ? Ce démon visait la rame ? Ou cherchait la première âme qui lui passait sous la main. Il le fixait encore, les tremblements peinant à s'estomper, comme un réflexe de survie. Il se le levait... Bord... il se levait. Non, ce n'était pas le moment pour intérieurement jurer mais merde... bon trop tard c'était fait. Que faisait-il ? Où allait-il ? Cherchait-il un autre démon ? Il pouvait sentir chacun de ses pas faire trembler tout le wagon. C'était clairement un rituel. Il assistait à un rituel démoniaque. Un rituel qu'il ne comprenait pas. Pourquoi était-il tombé ? Etait-il vraiment tombé ? Ou le malin tentait-il de le tromper ?

La solution, il descendrait à la prochaine station. Car non, un démon sorti des enfers ne serait pas capable de le suivre à l'extérieur. Il n'avait pas de meilleure idée en tête et sincèrement, il n'y avait certainement pas pire moment pour que la lumière du wagon se coupe. Mais la vie était ainsi faite. Ce devait être l'oeuvre du rituel.

Mince mince mince, ce n’est vraiment pas le moment !

Je sens un bref tremblement dans le corps, la panique me remonte l’échine. Bordel, ne me dites pas que je vais envoyer un pauvre gars en séance psy juste parce qu’un générateur a lâché ! Calmos, Barï, calmos...Inspire, expire. Trouve une solution.

Bon...Déjà, ferme les yeux. Tu sais très bien que dans le noir, même avec tes lunettes de soleil, ils brillent. Et y’a pas plus cliché que des yeux brillant dans le noir, et ce n’est VRAIMENT pas le moment. Ensuite...Euh...

...Ah ! Je sais ! Je viens vite fouiller ma poche à tâtons, la joie d’avoir les yeux fermés...Pour en tirer mon téléphone. J’entrouvre à peine un œil pour vérifier ce que je fabrique, voilà...doucement...On débloque l’écran...Et on met le mode lampe torche. Et la lumière fut...Bon sang, ce n’était pas la blague à faire pas vrai ?

J’ai un bref hoquet de gène, avant de venir me masser le cou, c’est que je ne me sens pas trop dans mon assiette là !

“Désolé, désolé...”

Je me relève comme je peux, avant de me diriger vers un siège, le plus loin possible du jeune homme. A défaut de réussir à briser la glace...Au moins, ça le rassurera peut-être ?

Je pose mon gros derrière sur le siège de plastique, il vient, évidemment, grincer sous mon poids. Bon...Toujours pas de mouvement, toujours pas de lumière. Je sens qu’on va être bloqué pour un moment, joie, joie et arc-en-ciel.

J’essaye de réfléchir à quoi dire, une blague peut-être. Mais raaaah, les seules choses qui me viennent à l’esprit c’est faire une plaisanterie sur la coupure de courant. Le gosse est déjà suffisamment terrifié comme ça, je vais avoir l’air d’un serial killer qui veut profiter de l’occasion. Blague sur la lumière, on oublie...Lui demander son nom ? Mais je vais encore plus avoir l’air d’un serial killer ! Bon...Réfléchit...On est dans le noir, avec juste la lumière de mon téléphone, et celle de la lune...La lune...Mm...La lune...

Allez...On se lance, première chose qui te passe par la tête. A la une...A la deux...A la trois...

“Bah ! Ça me rappelle une blague. Deux blondes regardent la lune, l’une d’elle demande si y’a de la vie dessus. Et l’autre répond...”Evidemment, y’a de la lumière”. ”

...Okay, non, là, Bravo Barï, t’as encore plus l’air d’un abruti. J’essaye de rire...Mais je dois plus avoir l’air mal à l’aise qu’autre chose.

“Désolé, entre la situation qui est un poil stressant et la fatigue, j’essaye d’en rire. J’espère que le wagon va repartir bientôt.”

Hypothèse numéro un, il va te prendre pour un gros idiot...Bon, je l’ai un poil cherché, mais ce serait pas si mal. Hypothèse numéro deux, il n'a rien écouté...Bon, mon “honneur” sera peut-être sauf, mais ça réglera pas le soucis.

Je gonfle brièvement les joues d’airs. C’est que ce n’est vraiment pas facile cette situation, et l’impro, ça n'a jamais vraiment été mon art. Et puis bon, je n’ai pas vraiment beaucoup d’occasions. Si ce pauvre type sort de ce wagon en ayant eu la pire soirée de sa vie, dur dur de rattraper ça.

Kass n'avait pas toujours peur du noir. Il n'était plus un enfant en dépit des apparences. Mais là, c'était comme le noir tombant d'un film d'horreur. Celui qui faisait que lorsque la lumière reviendrait, le héros, ou plutôt le dommage collatéral servant l'intrigue, se retrouverait d'énormes crocs prêts à plonger dans sa chaire. Des scènes si violentes que la caméra ne filmait jamais directement la scène, préférant se satisfaire des cris de douleur et du bruit glaçant de la peau qui se déchire.

Non, non, non, il ne voulait pas être cette personne. Il ne voulait pas être le dommage collatéral et il n'avait clairement pas le charisme nécessaire qui pourrait faire de lui le héros réchappant mystérieusement de l'attaque à la fin du film. Mais sa paralysie était totale. Et dans cet état, difficile d'avoir la présence d'esprit de sortir son téléphone. Non, loin de là. Après tout, il n'y avait qu'une seule et unique chose pour ressortir dans cette obscurité. Des yeux, des yeux rouges, transperçant tout, lui donnant de nouveaux des sueurs froides avant de disparaître.

Il ne savait pas ce qui était le plus effrayant. D'avoir vu ces deux lueurs ou au contraire de ne plus les voir. Mais sa paralysie s'arrangeait visiblement puisqu'il arrivait maintenant à tâtonner légèrement sur la banquette, cherchant de quoi se défendre. Bien sur, sans rien trouver. La lumière du téléphone fut visible avant que la l'alimentation générale ne puisse être rétablie.

Mais quel démon avait un téléphone portable ? Et il s'éloignait ?... Kass se sentait respirait un peu de nouveau. Il était loin, à l'autre bout de la rame, éclairé et avec un... Téléphone. Il ne parvenait pas à comprendre. Son premier réflexe aurait du être de hocher la tête et de laisser le monstre parler mais la peur provoquait des réactions que l'on aurait pas toujours imaginées. Et celle-là, clairement, le japonais n'y aurait pas cru si on lui avait dit.

"Tu te trouves drôle peut-être ?! Depuis quand les monstres sont équipés de téléphones ?!"

Etait-ce une "upgrade" fournie par les enfers pour mieux rester en connexion avec eux ? Kass n'était jamais cruel mais il ne savait pas s'il avait un jour eu aussi peur. Forcément, ce qui aurait du prendre le relais avait fait le choix de ne pas le faire. Mais la situation n'allait pas en s'arrangeant et le rame restait immobile.

"Si tu es vraiment désolé... dépêche toi de disparaître !"

C’est fou quand même. Depuis le temps, je me dis que ça ne devrait plus rien me faire. Ce n’est pas la première fois, ce n’est pas la dernière fois. Mais non, rien à faire, ça fait toujours aussi mal.

Je me contente juste de baisser le regard, oh regardez, mes pieds. Sont beaux mes pieds.

Je n’ose même pas imaginer la tête de chien battu que je dois être en train de faire. Mais ce n’est pas volontaire, je vous jure. C’est juste que… Je ne sais pas, pour une fois, j’avais envie que ça fonctionne.

« Ouais… » J’inspire un instant. « Je vais disparaître, t’inquiètes pas… »

Je vais sortir au prochain arrêt. Ça me fera une bonne trotte à pied mais ce n’est pas grave. Ce sera toujours mieux que… Bref.

« Au prochain arrêt, je descends. On ne se reverra pas. »

Je sens bien que quoi que je dise, il a une vision bien tranchée des événements. J’essaye de prendre sur moi. Allez, Bari, joue le jeu et essaye de le rassurer.

« Je pensais que ce wagon était vide. »

Je range mon téléphone. Je n’ai pas envie qu’il croie que j’appelle des renforts ou je ne sais pas quoi. Au moins, j’ai bien fait de me mettre à l’écart.

Bon, pas la peine d’essayer d’être dépressif. Pense à des trucs positifs. Allez, dis-toi qu’avec un peu de chance, le gars, il va se sentir tout fier après. Réussir à chasser le démon rien qu’en haussant la voix, c’est quand même la classe. Il pourra s’en vanter, ou je ne sais pas, gonfler un peu son égo.

… Ou il va finir par faire des cauchemars la nuit. Teuh…Positif on a dit. Positif…

Je me masse le visage un instant. Bon sang…

Je commence à sentir un bref vrombissement sous mon siège, tandis que la lumière se rallume dans le wagon. Une bonne chose de faite. Je remets mes lunettes de soleil un peu plus en place, avant de me relever.

Je me dirige d’un pas un peu nonchalant vers l’accès le plus proche. Evidemment, je choisis celui loin du jeune.

J’agrippe la barre, et j’attends.

Le paysage commence lentement à bouger. Le tram est de retour. Je ne sais pas ce qui a provoqué ce souci, mais c’est mal tombé. La dernière fois que j’ai entendu parler d’un cas similaire, c’est car un gorille avait détruit quelques rails.

Parfois, je me demande vraiment ce que je pourrais faire pour que ça n’arrive pas à nouveau. Faire peur aux gens comme ça. Visiblement, les lunettes de soleil, ça ne suffit pas. Je sais même ce qui fait rire les gens à notre époque. Pas les clowns… Jamais les clowns…

Allez… Arrive à la station, allez… S’il te plait.

Si la situation n'avait rien de normal, la suite des évènements ne l'était pas d'avantage. Kass avait pris le problème comme un cauchemar. Une vision de terreur. Il n'oubliait pas que ses hallucinations pouvaient être impressionnantes. Et forcément, quand on envisageait qu'une partie se produise dans sa tête, il paraissait cohérent de lever le ton contre son inconscient.

La solution n'était pas mauvaise mais le problème restait mal identifié. Car si ce n'était pas dans sa tête, c'était réel. Et si c'était réel, c'était un démon. Mais si ce n'était pas un démon, qu'était-ce sensé être ? Kass s'était peut-être accroché à sa croix mais il n'était pas encore allé jusqu'à la brandir comme un crucifix car la créature avait reculé avant. Ou plutôt n'avait jamais fait mine d'approcher ?

C'était bien là le propre de l'inconscient. Quand il y avait une vision d'horreur, elle n'était jamais partielle car le cerveau était le plus tordu des scénariste et ne savait toujours que trop bien ou frapper. Hors, Kass se connaissait et les réactions du démon ne correspondaient pas à ce qu'il aurait pu imaginer.

Les lumières se rallumaient, le monstre continuait de s'éloigner et s'excusait ? Prétendait devoir attendre devant la porte l'arrêt du train ? Et s'il s'agissait de cette troisième option ? Celle n'incluant ni délire, ni démon ? Kass pour la première fois cessait de chercher à tous prix le regard de la créature et tentait plutôt de comprendre son langage corporel, régulant sa propre respiration, encore un peu trop bruyante. Hors, il ne vit rien d'agressif dans sa manière de se déplacer ? Au contraire, il a l'impression de voir une personne (si l'on pouvait l'appeler une personne) en train de s'écraser ...? 

S'il n'avait pas été un expert en la matière, il ne l'aurait probablement pas remarqué. Il n'aurait pas fait le lien, se serait contenté de la première impression. Mais Kass s'était écrasé toute sa vie. Et ce qu'il visualisait tout aussi bien, était les personnes l'ayant lui-même poussé à s'écraser. Son patron, ses professeurs, ses camarades de classe, son père ?

Quelque part, ça faisait mal. Suffisamment pour pousser le japonais à se lever malgré ses angoisses pour s'avancer d'un pas manquant clairement d'assurance jusqu'à cet autre bout de la rame, peinant clairement à mettre un pied devant l'autre. Pour cause, une bonne partie de son corps lui disait de partir dans l'autre direction, de laisser les choses telles quelles de ne pas les provoquer d'avantage.

Quand il atteint deux bons mètres de distance, il s'immobilisa, évitant de regarder la créature. Puis, après quelques secondes à ne rien faire, il pencha soudainement le haut de son corps, une de ses mains s'accrochant à une barre. Il avait besoin de serrer quelque chose entre ses doigts pour ne pas se défiler.



"Je suis.. profondément désolé !"

Il y avait de très nets regrets dans sa voix. Des alters injustes, affectant l'apparence, il en avait déjà vus. Cette... personne ne l'avait certainement pas choisi et il ne comptait pas être le bourreau d'une quelconque histoire. Il tomberait à genoux si nécessaire. Il avait honte, terriblement honte.

…Eh ?

Est-ce qu’il vient de… Ah ! Ah non, non non non, faut pas, ne…Aaah, qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce que je dis ? C’est pas de sa faute, c’est clairement pas de sa… Okay, et si je dis que… Nah, ça marchera pas. Je m’excuse aussi ? C’est irrespectueux. Ah, bon sang !

« Ah, euh, non, non t’inquiètes… » j’essaye de redresser un peu les mains, doigts écartés et mouvement lent pour lui montrer qu’il n’y a pas de quoi.

C’est vrai, je veux dire, tard le soir, coupure de courant, mon alter, et… Bon, d’accord, j’admets, c’est la loi de Murphy. Fallait que tous les trucs qui ne se mélangent pas se mélangent ensemble. Rah, misère, de misère.

« Ah…Ahah…C’est moi, je ne contrôle pas mon alter, et il fait peur aux gens, ce n’est pas ta faute… »

J’viens me passer une main contre ma nuque, tandis que je ris un peu. Enfin rire… Je me sens surtout gêné là ! T’imagine, le gars, je lui fais la peur de sa vie alors qu’il n’a rien demandé et, il s’excuse. Mais, mais, mais mais !

« Enfin ! » j’essaye de montrer que je le prends pas mal, comment je pourrais le prendre mal ? Changement de sujet ! Le beau temps ? Trop classique. L’accident de tram ? Ça va nous porter la poisse. Peut-être que je pourrais parler de… « Tu sais, une fois, on m’a aspergé de sel, et j’me suis même pas dissous ! Oni quatre étoiles monsieur ! »

J’essaye de rire de bon cœur, et même de prendre un peu la pose héroïque. Je n’ai pas envie qu’il croie qu’il a été le plus méchant des gars que j’ai pu rencontrer, ou que je lui en veux ou je ne sais quoi. Très franchement ? Il a même été plutôt sympa. Déjà, que ça s’en tienne juste aux mots, c’est un bonus dans mon cahier. Mais en prime, s’en rendre compte et faire ce qu’il a fait ? C’est…

Ça va sembler vraiment bizarre, mais ça me rend super-heureux en fait. Combien de fois c’est arrivé des situations comme ça ? Et souvent, la fin, ce n’est pas la même. J’ai plutôt droit au gars qui s’en va en courant. Et là, je ne peux rien faire. Si j’essaye de le rattraper pour m’excuser, pas besoin d’un dessin. Non seulement, un gars te fiche la trouille, mais en prime, il te court après. Pas joli joli.

Je viens réajuster mes lunettes, et je ferme les yeux. Vu qu’il est tout prêt, ça devrait arrêter l’alter un petit moment. Ou au moins jusqu’au prochain arrêt.

Bon… En vrai, j’ai encore quelques arrêts à faire mais, je m’étais vraiment dis que j’allais descendre au prochain, et traîner ma carcasse à pied. Le sport, l’air nocturne tout ça.

Mais si le gars se sent un peu mieux, peut-être que je vais pouvoir rester assis jusqu’à la fin du trajet ?

Calme, Bari, on ne va pas crier victoire trop vite.

Merde. Oui, merde. Kass s'était lancé, il avait traversé cette rame malgré sa peur encore très importante pour aller présenter ses excuses. Il s'était incliné, face contre terre et maintenant, il devait assumer. Mais comment assumer quand il savait qu'au moment où il lâcherait la barre, il se mettrait probablement à trembler comme une feuille ? A vrai dire, il avait déjà les larmes aux yeux et était incapable de se prononcer sur la véritable raison derrière. Etait-ce car il s'en voulait à mort au point d'en pleurer ou en raison de ses nerfs mis à vif par une journée difficile doublée d'une peur à en chercher un marteau brise vitre dans un train en marche ?

Un lâche, il était réellement le pire des lâches. C'était donc bien un alter et même en sachant cela, il était toujours incapable de le regarder en face. Il savait que ce qu'il avait fait était mal mais une partie de son cerveau, celle suivant ses instincts lui disait encore clairement de prendre ses jambes à son cou. En prime de ça, il était suffisamment égoïste pour ne pas mettre les choses au clair avec cette... personne.

Il devait répondre en dépit du fait d'être paralysé par la peur, il avait fait suffisamment de mal comme ça. Mais répondre quoi ? Lui dire que c'est lui qui avait exagéré, qu'il aurait du s'en douter et qu'il ne méritait pas ce genre de traitement ? C'est vrai, Kass n'y pouvait rien s'il était d'apparence aussi... monstrueuse. Il ne savait pas vraiment ou l'alter se situait mais il n'aurait de toute manière pas le courage de le regarder à nouveau pour vérifier. Déjà qu'il aurait clairement sursauté s'il avait senti des mouvements brusques, même sans le regarder.

Bon, tant pis, il n'y arrivait pas, il allait donc continuer à regarder le sol en espérant que cette situation ne s'éternise pas. Là, il n'y aurait pas grand chose qu'il pourrait faire. Il se savait un peu alterophobe mais là il était clairement cettechoseophobe. Il aurait préféré ne pas demander ça mais il ne pouvait pas tout simplement se mettre à plaisanter avec lui. Il n'en était tout simplement pas capable.

"A... Quel arrêt descendez-vous ?..."



Il y avait de quoi avoir honte de sa question. Il en serrait les dents. Car ces mots étaient ceux du "Je me suis excusé et je suis vraiment navré. Mais je ne peux pas pour autant vous traiter normalement."

Eh, ce n’est pas mal comme question. Il est plus doué que moi, c’est quand même plus simple comme question que… Oh. Je vois…

Ce n’est pas pour faire la conversation hein ?

Je baisse un peu le regard. Bon…

« Ah, à la prochaine station, ça ne sera pas bien long. T’auras le wagon rien que pour toi, la chance ! Ahah ! »

« Ahah » oui, j’essaye de rire à nouveau, vaut mieux ça qu’autre chose. Je ne sais pas trop quoi dire de plus, je continue juste de fermer les yeux, et d’attendre. Cette prochaine station va pas trop tarder, j’espère que j’aurais assez de batterie pour ouvrir l’option map et me retrouver. Je n’ai même pas suivi à quelle station on était, et…

C’est bon, je sais. A la prochaine station, il va y avoir un peu de flottements. J’aurais qu’à changer de voiture ? Comme ça, tout le monde est content. Lui, il est seul. Et moi, je peux quand même rentrer sans marcher. Bari, t'es vraiment un gros tas feignant, tu le sais ça ?

Ouais, je vais faire ça, ce sera mieux. Et si l’accueil est similaire, bah je changerais à nouveau de voiture au prochain arrêt. Ça va, y’aura assez de wagons pour que j’arrive à destination au final, enfin, je crois ?

Je reste là plusieurs minutes, devant la porte, attendant l’ouverture. J’ai les yeux fermés, je sais pas ce que fait le gars, si il s’est assis à nouveau ou pas.

Un petit tremblement, suivi de l’annonce du haut-parleur, okay, c’est le moment. J’entends le bruit de la porte qui s’ouvre, et j’essaye de sortir. Pas facile sans y voir grand-chose, mais je viens de poser le pied sur quelque chose de solide alors…J’entrouvre les yeux.

Ouais, c’est bon, je suis bien sur un quai de gare, plus qu’à bouger et rentrer dans la voiture voisine, vite fait, bien fait.

Avant de mettre le plan à exécution, j’fais quand même un petit signe au gars, sans le regarder évidemment.

« Bon bah, bon voyage l’ami, et encore désolé pour la frayeur. »

Et j’y vais, j’ai suffisamment de temps pour rentrer dans un wagon bien après celui du gars. Je n’ai pas envie qu’il puisse m’apercevoir dans la voiture suivante, bonjour le malaise.

Personne dans celui-là ? Pas mal.

Je fais quelques pas avant de m’installer sur un des sièges. Quelques minutes, et voilà que le train reprend.

Bon, du coup, encore 4 stations, ça va le faire. Je suis crevé, mon chez moi ne m’aura jamais autant manqué.